Mai 09

J’ai fait une formation sur la lutte contre les discriminations et puis je nous ai regardé

C’est vrai que j’ai une sensibilité toute particulière pour ces questions là. Tout ce qui touche à la justice sociale, en vrai. C’est d’ailleurs le point de départ de mon engagement dans l’entreprenariat ESS. Je veux dire comment par mon action, mon métier puis-je ‘lutter contre les discriminations, agir pour la diversité et construire l’égalité réelle’. C’est le nom complet de la formation. Hein comment ?

Ben en s’informant déjà ! Et donc, j’apprends qu’il y a 21 critères de discriminations reconnus à ce jour, la liste s’allongeant un peu plus régulièrement. Je vous les donne : l’origine, le sexe, la situation familiale, la grossesse, l’apparence physique, le patronyme, le lieu de résidence, l’état de santé, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, l’âge, les opinions politiques, les activités syndicales, la capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, l’appartenance ou non appartenance réelle ou supposée à une ethnie, nation, prétendue race ou religion. Dernièrement, une association a insisté pour intégrer un autre critère : la précarité sociale. Trop raison !

discrim.illus.articleComprenez qu’une femme, mère célibataire, syndiquée, atteinte d’eczéma et voilée multiplie les risques de vivre une situation discriminante. Cela vaut aussi pour les personnes morales comme par exemple et au hasard une association, une coopérative ou tout autre entreprise de l’ESS à qui on refuserait un soutien financier parce que les membres sont racisé.es¹, LGBT+² et précaires.

Dans l’ordre, les discriminations portent sur l’emploi (recrutement et carrière), le logement, l’éducation ainsi que l’accès aux biens et services. Et les chiffres font peurs ! Rien que dans l’emploi, 34% de la population active rapportent des cas de discrimination. 34% !!

Ces inégalités de traitement prennent plusieurs formes : explicites/implicites, directes/indirectes, positives/négatives ou encore systémique sans compter les mécanismes d’auto-discrimination. Tout ça peut aussi s’observer d’un point de vue juridique : légales/illégales et politique : légitimes/illégitimes. Voyez la complexité du truc !

L’ESS n’est pas étrangère à ces données. Elle est même actrice dans cette lutte via les associations militantes, les Entreprises d’Insertion (EI), les Établissements et Services d’Aide par le Travail (ESAT), les syndicats, etc. Je ne peux pas nier les forts clivages entre elles et l’incompatibilité ressentie avec certaines. L’occasion de remercier les autres.

L’ESS est donc concernée, toute l’ESS ! Une SCIC d’expertise comptable aussi ! Surtout quand elle entend inscrire son action dans une transformation sociale. Et prôner l’égalité ne suffit pas, hein. Non ! Il convient au sein de FINACOOP de penser notre posture et nos pratiques en terme de relations sociales (relations interpersonnelles) mais aussi de rapports sociaux (relation entre groupe d’individu.es faisant classe ex : H/F – valides/handicapé.es – blancs/racisé.es, etc.).

couv.EducPopetFeminismePourquoi ? Parce que les réflexes discriminatoires peuvent traverser toute la structure, depuis la gouvernance jusqu’aux rapports avec les bénéficiaires en passant par le choix des projets et partenaires. Vigilance et politique active sont de rigueur ! Entre la dernière étude sur la discrimination liée à l’âge et la religion dans les entreprises et le patriarcat encore bien présent, y compris dans les coopératives d’éducation populaire³, il y a de quoi se sentir concerné.es.

En effet, il y a de quoi poser le sujet et identifier les potentiels mécanismes discriminants pour les un.es et privilèges des autres, à commencer par les miens en tant que femme blanche, hétérosexuelle, préservée de toute précarité, valide et croyante, voilà en partie. L’idée et l’envie : analyser nos pratiques balbutiantes, échanger avec d’autres structures sur les actions menées, être accompagné.es, prévoir des temps collectifs pour s’informer et se former, en non mixité si nécessaire, être en mesure d’établir des règles de fonctionnement comme par exemple lors de la prise de parole en réunion ou encore lors de recrutement des salarié.es.

J’aimerais même bien commencer par là, le recrutement. Je me dis que tout d’abord, nous devons reconnaître au regard de nos expériences professionnelles passées la tendance à recruter (et à attirer) ceux et celles qui nous ressemblent, et à enfermer potentiellement les personnes discriminées dans des métiers stéréotypés avec tout ce que ça comprend comme jugement des compétences, doute sur la légitimité à un poste et qualités supplémentaires exigées.

Je me dis aussi que notre volonté de diversité et de parité ne doit pas être une injonction à la normalisation et à l’intégration. N’a-t-on pas en tête que la différence ne devient acceptable que lorsqu’elle se conforme aux références standards bien souvent considérées comme universelles mais qui en fait ne sont que des positionnements dominants ? Souhaiter la diversité et la parité, c’est laisser exister des vies et points de vues minoritaires dans leur totalité et c’est leur permettre, voire leur demander, de nous remettre en question. En vrai, c’est accepter de changer en profondeur et c’est inverser le processus : à nous de les intégrer dans nos esprits.

Et puis, je ne peux ignorer les réticences, particulièrement des personnes discriminées. Cela révèle une crainte de n’être qu’un quota, une caution, ne pas avoir été choisi.e pour ses compétences ce qui rendrait le process alors plus humiliant qu’autre chose. Sauf que sans process, l’humiliation de ne pas être recruté.e, à sa juste valeur ou recruté.e tout court parce que femme, parce qu’habitant un quartier populaire etc. risque fort de perdurer. Décider d’une politique active dans le recrutement n’est pas revoir ses exigences à la baisse. Il n’y a aucun doute à avoir sur le fait qu’une femme, qu’une personne racisé.e et/ou de forte corpulence etc. puisse avoir toutes les compétences demandées, l’expérience et la formation pour preuves. Avoir une politique active, c’est bien au contraire augmenter la qualité du recrutement puisqu’assuré.es de ne pas rester enfermé.es dans un entre-soi, puisqu’enrichi.es d’une pluralité de vécus professionnels et personnels. Le statu quo n’a jamais permis de réduire les inégalités, le statu quo maintient l’ordre établi et les situations de discrimination qui vont avec.

egalitédechancesEnfin et c’est presque par anticipation d’éventuels commentaires, avoir une politique active n’est pas du favoritisme, hein. Je veux dire, on part de situations discriminantes à la base. Considérer que c’est offrir des privilèges, c’est nier l’action correctrice face à une injustice sociale systémique. Ce n’est pas non plus faire acte de séparatisme ou de communautarisme parce que l’idéal voudrait qu’il n’y ait pas de distinction, pas de catégories de personnes, révélant, en vrai, derrière la non-catégorie, un homme blanc, hétéro, valide, de classe aisée et de culture chrétienne. N’en déplaise.

Si la dynamique est réelle, les tensions ne sont pas loin. A moi, à nous d’expérimenter ce que justice sociale veut dire et d’en explorer le chemin.

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Merci à Briac Chauvel pour la relecture
Illustration Piz
Photo 1 de Cory Doctorow en licence CC BY-SA 2.0


[1] désigne les personnes (noires, arabes, roms, asiatiques, musulmanes, etc.) renvoyées à une appartenance (réelle ou supposée) à un groupe ayant subi un processus à la fois social et mental d’altérisation sur la base de la race. Les « racisé-e-s » sont celles et ceux qui appartiennent (réellement ou non) aux groupes ayant subi un processus de « racisation ». Rafik Chekkat, ce que le mot racisé-e-s exprime et ce qu’il masque, etatdexception.net, [en ligne 06/11/15]

[2] Lesbienne, Gay, Bi, Trans, Queer, Pansexuel.le, Intersexuel.le, Altersexuel.le

[3] Éducation populaire et féminisme, Récits d’un combat (trop) ordinaire. Analyses et stratégies pour l’égalité, Ouvrage collectif écrit par 11 femmes de l’association « La Grenaille », réseau d’éducation populaire

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Gabrielle Mirbeau | Responsable Communication éthique et coopérative | Sociétaire « Experte-conteuse »