Juil 30

Lettre à Martine Pinville – Culture & ESS

Nous reproduisons l’intégralité de la lettre ouverte de Colin Lemaitre, Directeur du PTCE Culture Coop, à Martine Pinville, Secrétaire d’État à l’ESS

A Saint-Étienne, le douze juillet deux mille seize,

Madame la Secrétaire d’État à l’Économie Sociale et Solidaire,

J’ai reçu l’invitation à votre visite demain à la Maison des Réseaux Artistiques et Culturels, à l’initiative de l’Union Fédérale d’Intervention des Structures Culturelles. Je ne pourrai pas être présent.

Madame, nous avons besoin de vous. Au-delà des moyens pour permettre à l’économie culturelle, inclusive et solidaire que nous représentons de se renforcer et de se développer, nous avons pour l’essentiel besoin d’une ambassadrice. Quel territoire réclame une diplomatie aussi pressante me direz-vous ? Notre propre territoire ! Celui du Ministère de la Culture et de la Communication, celui des collectivités locales et de leurs services dédiés aux arts et à la culture. C’est, oserais-je pour continuer à filer la métaphore, une sorte de mission de paix qu’il nous faut vous confier, car le secteur est proche d’un conflit profond et aux conséquences désastreuses pour l’avenir culturel du pays.

Car voyez-vous, en l’espace de quelques années, de la définition de notre place à une fonction quasi-régalienne, la puissance publique nous a assigné un rôle de champion économique. Elle a érigé la culture comme partie-prenante d’une économie plus largement créative, sur laquelle pèsent les attentes d’une croissance, d’une compétitivité et d’une attractivité sans limites. Et trop fiers de cette attention nouvelle, nous n’avons cessé de publier et clamer haut et fort des chiffres : 3,5% de la richesse nationale, près de 700.000 emplois, une croissance jamais démentie même aux heures de crises les plus sombres, etc.

Madame la Secrétaire d’État, vous connaissez bien la vacuité des chiffres. Et lorsque l’on aborde la culture sous l’angle de l’économie sociale et solidaire, ils sont tout aussi nombreux à être énoncés : 1/3 des établissements culturels relève statutairement de l’ESS, la culture représente 3% des emplois et 15% des organisations de l’ESS, 16% des projets financés par France Active, plus de 10% des sociétés coopératives d’intérêt collectif en exercice, 20% des structures qui bénéficient d’un Dispositif Local d’Accompagnement, etc.

Ne nous laissons pas être trompés par ces statistiques.

La réalité, c’est que l’austérité budgétaire et la victoire d’une approche très libérale de l’entrepreneuriat culturel sont venus mettre une chape de plomb sur la diversité culturelle. La vérité, c’est que cette cartographie tronquée, laissant croire à une bipolarisation formée d’une part de l’institution publique et d’autre part de la figure de l’entrepreneur, a appauvri la densité des pratiques culturelles. Nous nous asphyxions et nous perdons tout repère pour penser la culture.

“Winner takes all”, dit-on, les grands équipements et l’industrie culturelle captent l’attention et l’intention des moyens de la politique publique et partout le fin maillage territorial d’acteurs et d’initiatives artistiques et culturelles se déchire, là où les TPE et les associations sont sacrifiées sur les autels de l’économie créative et des baisses des moyens publics.

Et pourtant, n’ayons pas peur de le dire : l’économie sociale et solidaire est une composante majeure de l’avenir de l’économie créative !

Évoquer les liens entre la culture et l’économie sociale et solidaire, c’est tout d’abord parler d’un écosystème qui cherche à soigner le mal originel de la construction de l’exception culturelle française : la verticalité ! Dans les nombreux territoires où naissent les groupements, les lieux partagés, les pôles, les coopératives ou encore les formes de mutualisation entre acteurs culturels, le travail en silo est contesté. La recherche d’horizontalité dans les interactions avec l’ensemble des autres acteurs du territoire fait germer les nouvelles pratiques, les économies alternatives et les organisations modernes de la culture de demain.

Cette transversalité porte l’espoir qu’enfin, “La Culture” puisse à nouveau s’emparer des enjeux sociétaux, économiques, politiques et environnementaux et cesser ainsi de faire aveu d’impuissance : la culture ne sait plus comment agir dans la crise… qui est culturelle. Et qui est non pas nationale mais mondiale. Car la culture ne sait plus où est-elle attendue. En cela, l’économie sociale et solidaire propose une voie pour les acteurs culturels, permettant de ré-articuler leurs différentes postures et de redonner sens à leur vocation et à leur action.

Évoquer l’inclusion forte de la culture dans l’économie sociale et solidaire, c’est parler d’un apport primordial à l’innovation sociale : les démarches artistiques et culturelles dont nous témoignons ont pour valeurs communes la non-lucrativité, les droits fondamentaux dont les droits culturels, l’économie plurielle, l’entreprendre collectif et d’intérêt général. Lorsque nous travaillons à nos futurs projets, en tissant des passerelles avec les autres acteurs de l’ESS et plus globalement du tissu économique et social, nous apportons un ADN particulier : l’itération, la rapport direct à l’usager et à sa position centrale, la frugalité, l’expérimentation et le prototypage sont les caractéristiques de nos modes de faire de gens de culture, parfois même d’artistes !

Ces savoir-faire sont au cœur de l’innovation sociale et bien souvent nos organisations élargissent leur périmètre d’action à des rôles de développement économique, d’incubation, d’accélération, d’aménagement urbain et de revitalisation du monde rural, de démocratisation et de participation citoyenne, d’action sociale ou encore d’expérimentation managériale, d’organisation de l’entreprise et du travail, etc.

Enfin, évoquer ce sujet, c’est prendre conscience qu’une génération d’hommes et de femmes émerge, celle d’entrepreneurs sociaux, inscrits dans l’économie culturelle et créative, porteurs de projets d’utilité sociale et acteurs des droits culturels. Et il faut s’en réjouir.

Madame, nous avons besoin de vous car, tout cela, la société civile le reconnaît, les entreprises s’en rapprochent, les politiques publiques s’y adaptent, les chercheurs l’étudient, les corps intermédiaires le comprennent. Tous sauf un : le Ministère de la Culture et de la Communication.

Pour unique exemple parmi tant d’autres, lorsque votre prédécesseure Carole Delga a lancé le second appel à projets pour le développement des pôles territoriaux de coopération économique en 2015, le Ministère de la Culture et de la Communication ne figurait pas dans le tour de table des différents ministères qui s’étaient alliés pour soutenir ces initiatives. L’éducation nationale, l’agriculture, le logement, l’égalité des territoires et la ruralité, l’outre-mer ou encore la politique de la ville ont, avec la Caisse des Dépôts et Consignations, réunis 2,7 millions d’euros pour les PTCE. Mais la culture n’était pas là.

La plupart des 125 candidatures reçues était de très bonne facture et dans ces projets riches et divers, nombre d’initiatives étaient portées par des acteurs culturels de l’économie sociale et solidaire. Mais aucun de ces PTCE n’a été lauréat de l’appel à projets. L’une des causes sans doute se situe dans l’absence de la politique publique nationale en matière de culture dans cet enjeu fort que sont les pôles et de manière générale dans l’ESS.

Madame, il faut convaincre la Ministre Audrey Azoulay et son administration d’impulser une politique volontariste et ambitieuse en faveur des acteurs culturels de l’économie sociale et solidaire. Il faut lui donner à voir et à comprendre les formes originales qui en sont issues, les groupements d’employeurs, les coopératives d’activités et d’emplois, les pôles territoriaux de coopération économique, etc. ; les statuts pertinents qu’ils mettent en œuvre, les sociétés coopératives d’intérêt collectif et participatives, les unions d’économie sociale, les entreprises labellisées solidaires d’utilité sociale, etc. ; les plus-values sociales et économiques qui naissent dans les actions de mutualisation de moyens matériels et immatériels, dans la coopération et l’association au sein des territoires.

Surtout, Madame la Secrétaire d’État, il faut lui dire que la question de l’économie culturelle, sociale et solidaire n’est pas une question de chiffres, de statistiques ou de moyens, c’est d’abord une question de conviction. La conviction qu’au croisement fertile de l’ESS et de la culture se trouve un pari pour l’avenir de la diversité culturelle et du vivre-ensemble.

Pour gagner ce pari, vous savez Madame que le Ministère de la Culture et de la Communication peut s’appuyer sur les organisations nationales qui poussent pour notre visibilité et notre lisibilité : l’Ufisc et ses membres qui travaillent depuis longtemps à une autre économie des arts et de la culture, le CNAR Culture, Opale, qui possède une connaissance fine des acteurs et des territoires, les CRESS et leurs réseaux qui ont su faire une place à nos initiatives ces dernières années. Et puis bien sûr nous, hommes et femmes qui faisons vivre chaque jour l’idée que si la culture est une question d’économie, l’économie est surtout une question de culture.

Acceptez cette ambassade au sein du gouvernement Madame, nous vous en serions reconnaissants.

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Mathieu Castaings | Expert-comptable, juridique et financier, Réviseur Coopératif | Président Directeur Général | Sociétaire | " Explorateur de coopérations solidaires "